Objets inanimés avez vous donc une âme ? Demandait le poète
Lamartine.
Rapportée à certains objets usuels, on peut se poser
franchement la question.Et parfois c'est une âme espiègle qui les
anime.
Prenez l'un des objets les plus usuels pour un marin, un cordage,
mais ne le nommez jamais au grand jamais corde, il pourrait vous en coûter une
rebiffade de sa part.
"Drisse", pour monter une voile en tête de mât,
"écoute" pour border, tendre cette voile dans le vent et lui donner sa
puissance, "aussière" pour amarrer le bateau à quai et dont on dédie à certaines
le rôle de "pointe" ou de "garde", "câblot" pour un cordage de grosse section
dans le but de prolonger la chaîne d'ancrage si le vent vient à souffler plus
fort, "garcette" pour ces brins de petite section qu'on garde à portée de main
et servant un peu à tout faire, bloquer, lier, rabanter ....
Si sa
fonction n'est pas clairement définie, on le nommera volontiers "bout" ,
prononcez bien " boute" , c'est impératif !
La particularité de tous ces
cordages est que si on les laisse négligeamment vivre leur vie sans les lover
avec soin, c'est à dire les enrouler avec cet élégant geste du marin de
balancement des bras pour en faire une belle boucle régulière leur esprit
espiègle nous joue des tours quasiment systématiquement.
Objets inanimés
? Tu parles! Finissez une manoeuvre quelle qu'elle soit sans en prendre soin,
vous obtenez à coup sûr un paquet de noeuds dont on se demande parfois par quel
savant théorème une telle complexité a pu se produire. Ou alors quelque chose
qui doit avoir des liens avec la théorie du chaos.
Diversion sur la
théorie du chaos (merci Wiki...)
La théorie du chaos traite des systèmes
dynamiques rigoureusement déterministes, mais qui présentent un phénomène
fondamental d'instabilité appelé « sensibilité aux conditions initiales » qui,
modulo une propriété supplémentaire de récurrence, les rend non prédictibles en
pratique à « long » terme.
Non prédictibles ....? Pile poil
!
Le cordage a l'âme contrariante, je le soupçonne même d'être un
peu farceur.
Sitôt que vous l'avez abandonné sans le soin qu'il réclame,
il réussit le prodige de faire des emberlificotages parfois quasi inextricables,
punition qu'il vous inflige et vous oblige à passer du temps auprès de lui pour
en refaire un beau lovage bien régulier en le reprenant de bout en
bout.
Parfois même il s'amusera à vous faire des croche-pieds, ou bien il
enverra une génération spontanée de noeuds se bloquer dans une poulie ou un
taquet pour contrarier votre manoeuvre en cours en l'empêchant de filer comme
prévu, et c'est ainsi que certains envois ou affalages de voiles en solitaire se
soldent par des allées et venues précipitées de l'avant à l'arrière sur le
pont.
Le pire de tous ces soi-disant objets est certainement celui qui
équipe Dudule l'hydrogénérateur de Nomade.
Un bout ( ... "boute " !)
d'une vingtaine de mètres est mis à la traîne derrière le bateau avec le bras
d'hélice qui fera tourner le système pour produire l'électricité. Suffisamment
long pour intégrer les mouvements du bateau, les trains de houles, en gardant
l'hélice bien dans l'eau à l'horizontale, et tout ça s'entend parfaitement
bien.
La partie ... de rigolade, on peut le dire ... est lorsqu'il faut
rentrer le système, et donc le bout à bord.
Technique : j'envoie un
pare-battage avec un mousqueton glisser sur ce bout jusqu'à ce qu'il vienne en
extrémité freiner puis stopper la rotation de l'hélice, sinon la remontée est
impossible. Et puis on remonte tout ça, parfois ça tire fort, très fort et on
prend un winch pour aider, si le bateau marche assez vite surtout.
Et
bien ce fichu bout, tellement bien investi de sa fonction de transmission de
rotation, bien que ne tournant plus et tendu dans l'effort donc absolument droit
s'évertue à me provoquer un plat de spaghettis empli de boucles serrées, de
"cocottes" à la remontée en vrac dans le cockpit, qui m'obligeront à prendre
grand soin de lui pour lui redonner une allure convenable et le ranger avec un
air satisfait sur le balcon arrière.
... Objets
inanimés.....?
Et puis ...
Et puis ce soir qui je vois arriver à Galway à côté de moi ?
Mes hollandais sur leur "Rambling Rose"... qui viennent se poser là aussi quelques jours.
Un pot à leur bord, un excellent "spumante" italien, on refait ... pas encore le monde, mais je sens que ça ne va pas tarder, (puis j'ai tout de même passé plus de vingt ans dans une boite hollandaise avant de finir brièvement ... japonais interrompu) mais nos routes respectives autour d'un bon verre ... et comme ils ont envie de découvrir Galway, eh ben je les emmène ce soir au pub "The Quay" ... ce sera ma tournée, normal, non ?
Elle, hollandaise adorable de gentillesse et puis lui, un vieux voileux irlandais d'origine, avec sa longue tignasse et barbe gis-blanc, genre vieux hippie sélect, ayant vécu longtemps en nouvelle Zélande, et qui a couru des courses dans sa jeunesse depuis les années soixante-dix comme des Sydney-Hobart entre autres.. et qui a des tas de choses à raconter.
Bonjour Dominique,
RépondreSupprimerLe voyage ce sont des histoires de "bout", de manoeuvre, de paysage mais aussi et surtout des belles rencontres. Merci pour ta "retranscription" qui permet à celles et ceux qui sont (encore/de nouveau/toujours) à quai de partager un peu de ces moments.