samedi 24 septembre 2016

De Lisbonne à Porto Santo

Mardi 20 septembre.
Je quitte Lisbonne en fin de matinée après un arrêt à un poste gasole dans la petite marina Doca de Belém pour faire le plein y compris de tous mes jerrycans de complément, il y a de la route et je pourrais en avoir besoin au cas où je serais encalminé à plusieurs centaines de milles d'une côte.
Le vent vient rapidement à 15 noeuds par l'ouest-nord-ouest, puis monte dans la fin d'après midi vers 23, puis 25 noeuds établis. Je prends un premier ris dans la grand voile puis je réduis le génois, route au vent de travers, ça descend bien, 7 noeuds, parfois 8 je me dis que si ce régime tient, ce ne sera pas 4 jours mais trois pour rejoindre Madère…mais les fichiers Grib ( météo) n'annonçaient pas vraiment ça, j'avais du 15 noeuds pas plus … un effet de brise côtière peut-être ?
Nuit au même régime, vent plus portant, l'allure est grand largue, avec une belle houle trois quart arrière, Benhur le régulateur l'allure assure le boulot parfaitement, je me repose bien, la nuit AIS en veille et radar en veille intermittente, il y a encore du trafic dans la zone, pas mal de cargos montant et descendant mais rapidement plus de pêcheurs, puis passée la zone de séparation de trafic presque plus rien. Tout baigne et le vent est bon, il donne plus que prévu et en plus il tient bon, allez, route directe, et au diable la boucle sud que me proposait le logiciel de routage ...
On dirait presque les prémices d'une traversée dans les alizés … ce seraient donc ça les alizés portuguais ? Belle introduction, alors !

Les petits bobos :
Au petit matin, quelque chose m'interpelle, le bateau marche bizarrement, je sors voir, la bosse de premier ris de grand voile a cassé, et avec ce système de prise de ris par le cockpit, je ne vais pas pouvoir réparer ici en mer, un des deux réas ( poulies) de bôme a cassé et il faut démonter la bôme. Tant pis je prends le deuxième ris, mais rapidement le vent baisse, je deviens sous-toilé, alors je remets voile pleine mais il va me manquer la bonne surface, trop ou trop peu.

Une autre chose m'étonne, j'ai de l'eau sur le plancher du carré. Je soulève les planchers, j'ai beaucoup d'eau dans les fonds. J'écope, j'éponge, je sèche, j'y passe une bonne heure … ça ne s'est pas reproduit, je commençais à suspecter mille et une causes de voie d'eau … non, tu ne vas pas commencer à gamberger … mais tu as dû accumuler les arrivées d'eau depuis le départ et tu n'as pas vérifié les fonds, et puis ta pompe du groupe d'eau en panne, remplacée depuis, mais oui …elle devait fuir aussi, et entre temps il y a eu Marie Claire, Clémence, Lisbonne, le fado, tout ça ...bah !

Puis, bruit de vibration dans le cockpit, je m'aperçois qu'une des deux goupilles de maintien du corps de l'hydrogénérateur sur son support sur le balcon arrière est cassé, il ne tient plus que par un seul et je risque de le perdre d'un moment à l'autre. Urgence! Ralentir le bateau, rentrer dare-dare le cordage et son hélice de trainée, sécuriser le bloc avant qu'il ne tombe à l'eau, puis réparer l'axe de goupille avec un gros boulon de diamètre semblable... j'ai eu chaud sur ce coup là ..c'était à deux doigts de perdre Dudule!

La vie s'installe:
Dans ces premières 24 heures sous un vent bien établi, j'ai parcouru 145 milles, pas mal.
La deuxième nuit se fait sous génois tangonné dans un vent qui a baissé dans les 12 à 15 noeuds et ça descend encore bien, dans le calme agréable de la gestion de cap aux petits oignons de Ben ...
Nuit noire, nuit d'encre avant que la lune ne se lève en milieu de nuit, radar en veille, 12 secondes de scrutation toutes les 10 minutes avec zone d'alarme entre 1,5 et 2,5 milles, ça consomme modérément et ajouté à l'AIS ça rassure pour bien se reposer et dormir par séquences que j'étends désormais allègrement à l'heure depuis que je suis au large.
Nuit d'encre mais les planctons phosphorescents s'allument et scintillent dans la vague d'étrave et de sillage pour mettre un tapis d'étoiles autour de Nomade.

Journée du jeudi 22, je pêche 2 poissons ressemblant à des bonites … mais qui ne sont pas des bonites me diront à l'arrivée Christiane et Michel, de Wallis, que j'ai retrouvés.
Une sera marinée huile d'olive-citron-ail pour moitié d'un filet et poêlée pour l'autre moitié au déjeuner, excellente!!
L'autre bonite est mise en conserve, j'avais 2 bocaux disponibles, et hue cocotte ! Je goûterai ça prochainement, si ça fonctionne bien, ça peut améliorer l'ordinaire de temps en temps..

Une bande de grands dauphins m'accompagne joyeusement pendant quelques minutes,
Hélas ensuite, le vent va mollir, et je vais devoir faire pas mal de moteur.
J'ai regardé à nouveau les fichiers météo Grib, même rechargé un nouveau par l'Iridium, pour tenter de trouver une échappatoire à la pétole, mais tel que c'est, je retrouverais à un moment ou l'autre cette pétole pour rejoindre Madère, et en allongeant pas mal ma route, allez , patience, on a de quoi s'occuper:
  • finir le bouquin de Jean Bulot ( le cargo assassiné)
  • revoir les bases de navigation astro, puis j'ai fait mon premier point au sextant par la méridienne ce vendredi, passionnant … mais j'ai dû faire une erreur de mesure pour la latitude, 10 milles d'écart c'est beaucoup trop, par contre 3 milles d'écart en longitude, pas si mal pour une première … à réessayer et pratiquer car aligner la base du soleil sur la ligne d'horizon avec la petite molette quand tout bouge, pas si facile... J'essaierai peut-être avec l'autre méthode, celle avec les tables de Dieumegarde et Bataille ( ça ne s'invente pas des noms pareils)!
  • (re)lire un bouquin sur le ciel, les étoiles, les constellations. La nuit dernière j'ai bien identifié entre autres la constellation d'Orion, et à partir de l'axe donné par la ceinture d'Orion ( le chasseur), Sirius qui est de toute façon très luisante. Et puis ce n'est plus si courant dans nos vies urbaines aux nuits envahies de lumières partout, de voir la voie lactée ...
  • Recoudre une sangle de renfort d'attache de mon taud de soleil
  • Et me faire des crêpes au goûter …!

Quatrième et dernière nuit, plus envie de dormir. Une sorte d'excitation d'arriver dans la fin de matinée à venir, et puis finalement j'ai bien pris le rythme de ces sommeils-repos dispersés dans la journée et la nuit, je ne ressens aucune fatigue.
Musique, j'ai écouté pas mal de choses dans tout ce que j'ai emporté, et dans la nuit noire, les planctons phosphorescents à nouveau sont là pour dérouler le tapis d'étoiles sous un Nomade tout «enmusiqué»… bonheur ...avec du vent qui revient, en plus, alors …!

22 heures 50 TU, bien reparti sous voile pour les derniers 70 milles, ciel étoilé, une étoile filante strie le ciel pour s'évanouir sur l'horizon en plein dans la direction de mon cap, comme pour me dire «c'est bien par là, tu y es presque !»

Au petit matin, les beaux reliefs de l'île de Porto Santo apparaîssent.
500 milles au compteur, parcourus en 4 jours.
Je vais rester ici quelques jours, puis rejoindre l'île de Madère ensuite .

Voilà un aperçu de cette première étape «hors continent» de quatre jours en solitaire sans escale, de la vie en haute mer qui s'installe, du rythme qui se prend, et d'une manière de vivre et naviguer très différente de ce que j'ai pu connaître jusqu'ici où j'ai eu des étapes assez courtes qui ne dépassaient pas la trentaine d'heure, y compris en Irlande l'an dernier.
La relation à la perception du temps et de son rythme est totalement différente, et ça commence à donner les premières réponses à mon questionnement ... «mais pourquoi je fais ce truc ?»

Deux photos en basse définition de l'arrivée à Porto Santo (le réseau est très lent ...)


 

2 commentaires:

  1. Bravo Dom pour ce blog que je commence juste à découvrir.
    En tant que futur candidat aux grandes navigations océaniques, j'apprécie de découvrir à quoi m'attendre.
    Très agréable à lire. Tu as trouvé le bon équilibre dans le contenu (sensations marines, aléas matériel, tourisme, photos / texte, etc.)

    Bon vent et bonne pour les prochaines étapes.

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  2. Merci Batosurlo pout ton commentaire sympa. Vu ton blog, Kalinu est un bien beau bateau ..... Alors ne resterait plus qu'à te demander ... Tu pars quand poir qu'on ouisse te lire également ?

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