A l'arrivée sur la Martinique après la traversée, une fois posé dans la marina pour un repos bien mérité, j'avais commencé à remarquer certains bateaux qui semblaient scotchés à leurs pontons depuis des lustres, voire pour certains accrochés dans le fond de la mangrove qui entoure la marina du Marin.
Délabrement, coques parmi lesquelles des métalliques – c'est fréquent sur les bateaux conçus pour le voyage - sur lesquelles la rouille a déjà commencé son travail de sape, bâches-tauds de soleil délavées au-dessus du cockpit et derrière lesquelles on devine un fatras d'objets accumulés … bateaux ventouses accrochés à un endroit dont on se demande s'ils en bougeront un jour.
C'est aussi peut-être, au-delà des images exotiques, des cocotiers sous le ciel bleu, des eaux turquoises, là où viennent se fracasser les rêves pour certain nombre de ceux qui sont partis la fleur dans l'âme et qui sait, le feu au derrière, et après sans doute une traversée d'atlantique qui dépassa parfois le rêve en difficulté et inconfort, ajouté à la dure réalité des moyens de subsistance quand on «nomadise» ainsi, ont planté le bateau là, et laissé s'envoler la suite du rêve et l'envie de bouffer les milles plus loin.
Combien de ces renoncements une fois arrivés là-bas pour combien de continuations heureuses et toujours pleines d'entrain?
Cette question m'a un peu taraudée. J'ai eu le sentiment à un moment donné qu'il pouvait être facile de laisser couler, de se dire quelque chose comme «rentrer à quoi bon?» comme – je ne m'y trompais pas vis à vis de moi-même – une échappatoire à la nécessité de conserver l'énergie et la volonté de se battre pour aller au bout du projet initié.
Cette énergie, il faut l'entretenir, on baisserait vite les bras, et notre cerveau est un champion pour nous trouver cent mille raisons au renoncement, quitte à aller dans les actes manqués parfois dangereux… surtout quand on est seul … vigilance!
C'est aussi une composante du grand voyage en solitaire – et après tout autant la mettre sur la table – bien au-delà des images exotiques qu'on passe au travers d'un blog pour montrer comme tout est beau et bien.
Dans les vies de pontons, la marina du Bas du Fort à Pointe à Pitre, en Guadeloupe, a ses particularismes par rapport à celle du Marin en Martinique.
Ici, c'est pour certains pontons la «vie de quartier» où des gens se connaissent comme des voisins de zone pavillonnaire. Bacs à fleurs sur les bords du ponton ou même sur les ponts de voiliers sans voile gréée depuis longtemps, caddie de supermarché en état de rouille avancée et contenant un matériel improbable. Enfants aux cartables que des papas emmènent par la main à l'école le matin.
Ces enfants de bateaux ont souvent été associés pour moi à l'image de liberté que renvoyaient ces histoires de familles partant pour le grand voyage, mais là, enfants vivant sur des bateaux qui ne naviguent plus ?
Le rêve exotique a du plomb dans l'aile.
Un ponton, des bateaux, mais plus cette essence ni effervescence de ceux d'où partent les voiliers pour tailler la route.
Nomade est resté plusieurs jours sur un de ces pontons, comme un intrus dans un quartier où je n'aurai pas eu le temps de sympathiser avec qui que ce soit dans le voisinage bien que les invites-apéros entre bateaux semblaient aller bon train parfois – mais je n'étais pas ''un gars du quartier''. Quartier qui a pris ses vieilles habitudes. A tel point que le gars qui est venu me livrer mon mât d'éolienne – puisque j'y étais aussi pour ça, avant de repartir - était surpris de me voir ici. «Dites donc c'est étonnant de voir qu'ils vous ont placé ici, ce ponton, c'est le quartier où tout le monde se connaît»
Avantage ou inconvénient, Nomade avec sa taille modeste peut toujours être placé quelque part, même dans un port encombré.
J'étais coincé à ce moment là entre deux voiliers assez gros, genre 45 pieds, chacun de son côté étant équipé d'un groupe de climatisation posé à l'extérieur sur le pont en pied de mât, avec leur petit tuyau de goutte à goutte d'eau attaché ''à poste'' en travers du pont et le ronronnement toute la nuit de chacune de ces clim's de chaque côté.
Des voiliers qui n'ont pas vu la mer depuis des lustres…
J'étais content de repartir … jusqu'à ce fichu vérin ….
Cette fois-ci, au retour de la défection de mon pilote, on m'a placé au ponton ''visiteur'' numéro 6, nommé également ''Ponton Michel Malinovsky'' en l'honneur de ce premier presque victorieux de la première route du rhum qui se fit voler la victoire de 90 secondes par Mike Birch en 1978.
Ici, pas de bateaux ventouses, pas de vie de quartier, des gens de passage, assez souvent des américains, des canadiens, des français bien sûr, des gens réellement en voyage ou en navigation, … je m'y sens mieux, y compris dans quelques rencontres de gens que j'avais déjà vu au Cap Vert ou ailleurs.
Bon elles arrivent, ces fichues billes ? Il est temps que je reparte …
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